Le viager est un marché porteur à harmoniser – Droit et Patrimoine
Droit et Patrimoine – Si le viager intéresse de plus en plus de professionnels de l’immobilier, notamment depuis la crise sanitaire, certains rédigeraient des mandats et des compromis de vente déséquilibrés, au détriment des vendeurs. De multiples viagéristes réclament un encadrement de la profession dans ses pratiques et techniques, afin de faire évoluer le marché vers une éthique commune du viager et garantir les connaissances indispensables pour répondre aux enjeux et aux projets des retraités. Explications.
« Depuis quelques années, la notoriété du viager est considérable car nous prenons conscience que notre système de retraite est à bout de souffle et qu’épargner une vie entière est parfois insuffisant pour s’assurer une fin de vie décente, indique Sophie Richard, fondatrice de Viagimmo, réseau d’agences immobilières spécialistes de la vente en viager et de la nue-propriété. Cet engouement s’est accentué depuis trois ans avec le projet de réforme des retraites, la manifestation des gilets jaunes et encore plus depuis la crise sanitaire ».
Cette dernière a notamment entraîné une hausse des ventes immobilières en viager occupé. Les retraités redoutent en effet de se retrouver en Ehpad, ce qui pourrait les exposer à un plus grand risque de contamination et les isoler de leurs proches en cas de nouveau confinement. Ce dispositif apparaît, aux personnes âgées, comme une opportunité d’améliorer leur retraite et de conserver leur autonomie, quitte à envisager des travaux pour adapter leur domicile à leur état de santé. Les mentalités commencent à évoluer, notamment l’idée que ce type de transactions était réservé aux seuls vendeurs sans enfants. Vendre son bien en viager permet en effet de transmettre un capital à ses enfants de son vivant, via le bouquet.
« De nombreux enfants, qui avaient souvent des idées reçues sur ce dispositif, se rendent compte que le viager occupé constitue la solution idéale pour que leurs parents puissent rester chez eux le plus longtemps possible, souligne Sophie Richard. En parallèle, du côté des acheteurs, le refus d’établissements prêteurs de financer l’acquisition d’une résidence principale pousse certains profils, surtout depuis le début de la crise sanitaire, à se tourner vers le viager libre ».
Mais quelques freins psychologiques demeurent pour certains acquéreurs qui perçoivent le viager comme un pari sur la mort, ou sont effrayés à l’idée que leur crédirentier fasse des records de longévité. « L’image du viager n’est pas conforme à la réalité, donc il faut démocratiser ce dispositif et expliquer l’intérêt mutuel entre vendeurs et acquéreurs, indique Sophie Richard qui a édité un guide pratique pour expliquer les réalités du viager, disponible sur le site Viagimmo. Le viager mérite que la société s’y intéresse plus largement et d’être envisagé comme un produit retraite à part entière ».
Des contrats parfois déséquilibrés
Avec la crise sanitaire, le marché immobilier s’est restreint, donc de plus en plus de professionnels sont intéressés par le dispositif du viager. « De nombreux confrères qui travaillent dans l’immobilier traditionnel s’essayent au viager depuis quelques temps, constate Sophie Richard. Même s’ils sont compétents dans leur domaine initial, ce type de ventes ne s’improvise pas et nécessite d’être réalisé par un spécialiste, car il est fondamental de posséder de solides compétences juridiques, mais aussi un savoir-être inhérent au marché ».
Si, en théorie, vendeurs et acquéreurs bénéficient d’un contrat équilibré qui mutualise les intérêts de chacun et leur apporte une protection juridique, certains nouveaux « experts » utiliseraient l’actualité pour « faire des affaires », sans aucune connaissance de la législation, du marché et des techniques spécifiques de calculs. Des mandats de vente révèleraient des incohérences, trop souvent par manque de connaissances juridiques de la part des soi-disant professionnels.
« Nous sommes régulièrement sollicités par des vendeurs, pour vérifier le contenu de leur mandat, et heureusement, indique Bruno Jarry, directeur de l’Académie Nationale du Viager et responsable du pôle juridique de Senior Consulting Group. Par exemple, dans bon nombre de mandats, ne figure pas la rente complémentaire à la libération anticipée du bien, ce qui est une perte financière considérable pour les vendeurs ». Heureusement, la majorité des agences rédigeant les contrats, dont les compromis, travaillent main dans la main avec des juristes ou leur notaire respectif.
Si ce dernier s’assure de l’équilibre du contrat lors de la signature de l’acte authentique, les risques se situent en amont, lors de la rédaction du mandat de vente et du compromis ailleurs que chez le notaire. « J’ai le souvenir d’une jeune retraitée, qui ne savait pas qu’elle pouvait avoir recours à l’action résolutoire en cas de non-paiement de la rente par l’acquéreur, se remémore Bruno Jarry. Le jour de la signature de l’acte authentique devant notaire, les vendeurs ne doivent avoir aucune surprise ».
Former les professionnels
« Les personnes exerçant le métier de viagériste ont un devoir de conseil qui s’apparente de plus en plus à celui d’un gestionnaire de patrimoine, estime Sophie Richard. Il est donc impératif de comprendre les besoins des vendeurs et des acquéreurs pour s’adapter à leurs besoins, d’autant qu’il en va de la responsabilité de l’expert ». Bruno Jarry ajoute : « Nous ne pouvons envisager des professionnels sans de réelles connaissances juridiques, patrimoniales, fiscales ou encore matrimoniales ».
La législation du viager ayant été peu modifiée depuis son inscription au Code civil, c’est la jurisprudence qui fait évoluer les contrats. « Alors que l’écrit évite les contentieux, le viager souffre d’un vide juridique qui est source d’erreurs pour les profanes, explique Sophie Richard. Les dispositions juridiques liées au marché, essentiellement contenues dans le Code civil, sont relatives à des pratiques inadaptées à notre contexte sociétal et économique actuel ».
Les viagéristes et les professionnels de l’immobilier sont tenus de se former aux subtilités du viager, et ce par une veille régulière. L’Académie Nationale du Viager propose des formations – dorénavant en ligne – ayant vocation à leur permettre d’offrir à leurs clients des études viagères approfondies, cohérentes avec le marché et surtout viables. Centre agréé de formation, Sophie Richard transmet son savoir-faire à sa vingtaine d’agences via une formation initiale. « Ce n’est pas en trois semaines de formation que l’on devient viagériste, mais grâce à un accompagnement quotidien et au minimum d’une année de terrain », nuance toutefois la fondatrice de Viagimmo qui a mis en place une hotline juridique viager à destination de ses licenciés pour les accompagner au quotidien.
Estimant qu’un acte mal rédigé est source d’interprétation et donc de conflits, l’ancienne juriste spécialisée en droit immobilier, a inséré des clauses standards dans tous les contrats types utilisés par ses agences. « Ces clauses types sont parfois plus poussées dans nos compromis que dans ceux rédigés par les notaires, indique-t-elle. Les contentieux abîment l’image de la vente en viager : or, plus un contrat est encadré juridiquement et économiquement, moins il y aura de contentieux et plus le viager aura une meilleure image ». La fondatrice de Viagimmo ajoute : « Le terrain est un vrai laboratoire d’analyse des pratiques et des cas d’écoles au quotidien. Dans nos contrats de gestion viagère, sont prévues de manière très précise les éventuelles réparations ou dégradations, très souvent sources de contentieux, et des situations plus tragiques, telles que celles où un vendeur serait hors d’état de manifester sa volonté pendant quelques années ».
Unifier la profession
Le fait que les vendeurs soient âgés implique une attention particulière aux risques d’abus de faiblesse. Pour protéger les seniors – et de fait leurs familles qui sont nécessairement impactées – l’Académie Nationale du Viager vient d’effectuer trois recommandations.
La première est de mettre en place une déontologie du métier. L’Académie souhaite d’ailleurs s’atteler à la rédaction d’une charte de bonnes pratiques professionnelles. Par exemple, la première étude viagère doit être gratuite et sans engagement : « Le viager répondant à un projet de vie de retraités, il est donc impératif d’écouter leurs motivations, de connaître les conditions matrimoniales, afin de répondre avec précision à leur choix de vie, souligne Bruno Jarry. Ensuite, un temps de réflexion est nécessaire, permettant de faire un choix éclairé, pragmatique et réfléchi ».
La deuxième recommandation de l’Académie est l’encadrement réglementaire. « Il faut légiférer sur le dispositif viager, c’est une conviction, acquiesce Sophie Richard. Il est important de parler d’une même voix pour faire en sorte d’accompagner l’évolution des mentalités, de rendre l’information plus transparente et lisible pour que les contrats soient éthiques et moraux, et de réunir la profession sous forme d’une fédération ».
Enfin, la dernière recommandation consiste à mettre en exergue le rôle prépondérant de conseil et de suivi. « Le contrat viager ayant une durée de vie plus longue qu’un simple acte de vente immobilière classique, tout professionnel se doit d’accompagner ses clients, explique Bruno Jarry. Par exemple, chaque année, les deux parties doivent recevoir l’indexation de la rente viagère et au moment de la libération du bien, le professionnel se doit d’être présent pour accompagner chacun dans son nouveau projet de vie ».