Jurisprudence : pas de nullité de la vente en cas de décès d’une autre cause que la maladie
La jurisprudence est constante sur la question. Si l’acquéreur n’a pas connaissance de la maladie du vendeur et/ou que le décès n’intervient pas dans le délai de 20 jours suivant la vente, la vente ne peut être remise en cause. Les héritiers n’hésitent pourtant pas à lancer des procédures de justice en assignant l’acheteur en nullité de la vente pour défaut d’aléa ; l’objectif étant pour les héritiers de tenter de réintégrer le bien dans leur succession. Il s’agit là bien souvent d’une quête utopique, puisque la jurisprudence foisonne en la matière.
Un arrêt de la Cour de cassation (Cass. Civ. 3ème, 18 janvier 2023, 21-24.862) a récemment fait le tour des médias avec fracas, bien qu’apportant aucune nouveauté d’un point de vue purement juridique. En l’espèce, un investisseur fait l’acquisition d’une maison en viager occupé à une femme seule de 78 ans. Cette dernière souffre de plusieurs maladies, dont une hypertension artérielle et une insuffisance rénale, justifiant qu’elle soit dialysée quatre fois par jour.
Trois mois après la signature de l’acte authentique, la venderesse décède d’une chute. Les héritiers de la venderesse décident d’assigner sans tarder l’acquéreur en nullité de la vente pour défaut d’aléa. Les parties se retrouvent devant la Cour d’appel d’Orléans pour trancher cette affaire.
La Cour d’appel estime que, bien que le vendeur et l’acquéreur entretenaient des liens de proximité, l’acquéreur n’avait pas de connaissances médicales suffisantes pour prévoir l’imminence du décès de la venderesse, au jour de la vente. La Cour constate l’existence d’un aléa au moment de la vente et rappelle que la défunte est décédée d’une chute, et non des suites d’une de ses maladies.
Les héritiers poursuivent en formant un pourvoi devant la 3ème chambre civile de la Cour de cassation. Ils estiment que la vente était dépourvue d’aléa et rappellent qu’elle était une excellente affaire pour l’acheteur. En effet, il lui aurait fallu 13 années pour payer le bien immobilier à hauteur de sa valeur vénale, délai hautement improbable au vu de l’état de santé de la prédécédée. A rappeler qu’ici, les héritiers ne tiennent pas compte de la décote du bien inhérent au droit d’usage et d’habitation, conservé par la venderesse après la vente.
Comme attendu, les juges de la Haute Cour ont rejeté le pourvoi formé par les héritiers et ont confirmé la décision de la Cour d’appel. Ils précisent qu’aucun « élément ne démontrait que ce décès était inéluctable à brève échéance au jour de la vente » et qu’il n’était pas non plus établit que le vendeur avait des connaissances médicales suffisantes pour évaluer l’espérance de vie restante de la venderesse. Pour la Cour de cassation, la vente n’est pas viciée et n’a aucune raison d’être annulée, l’aléa étant bien présent.
A contrario de cette récente décision, une affaire plus ancienne entrait parfaitement dans le cadre de la nullité de la vente pour défaut d’aléa
En août 2017, une dame de 90 ans souffrant d’un cancer du pancréas avait vendu en viager, son appartement exposé face mer, à son médecin. La nonagénaire a été hospitalisée à plusieurs reprises dans les mois précédents la vente. Quelques semaines avant la signature de l’acte de vente, elle était encore à l’hôpital pour des soins. Cet appartement de 66 m², très bien placé, situé au centre de la baie de La Baule, était estimé à 600 000 €. Malgré les difficultés de santé de la vieille dame, l’acte authentique est signé en date du 3 novembre 2017. Une semaine plus tard, la venderesse décède.
Son fils, qui s’occupait des affaires de la prédécédée, prend alors connaissance de la vente immobilière. Sans tarder, il décide d’assigner le médecin en nullité de la vente pour défaut d’aléa.
La juridiction de première instance de Saint-Nazaire valide la vente, au visa de l’article 1975 du Code civil* qui ne s’appliquerait pas à l’affaire. Ledit article entraîne la nullité de la vente si le vendeur, atteint d’une maladie au jour de l’échange des consentements, décède dans les 20 jours de cette maladie.
Pour rendre leur décision, les juges de première instance estiment que le délai de 20 jours débutait à compter de la promesse unilatérale de vente et non à compter de l’acte de vente.
L’héritier du crédirentier, s’estimant lésé, ne reste pas sur ce débouté. Il saisit la Cour d’appel de Rennes qui statue sur l’affaire en septembre 2020. Celle-ci n’a pas le même avis que les juges de première instance : pour la Cour, l’échange de consentements entre la venderesse et l’acquéreur n’a été réunie que lors de la signature de l’acte authentique, en date du 3 novembre 2017. La venderesse étant décédé six jours plus tard, le délai fixé par l’article 1975 du Code civil trouve alors à s’appliquer. La vente doit donc être frappée de nullité pour défaut d’aléa.
Par ailleurs, la solution aurait très certainement été identique si le délai des 20 jours avait été dépassé. En effet, la venderesse est décédée des suites d’une maladie, dont le vendeur, qui plus est son médecin, avait parfaitement connaissance avant la vente. Ainsi, le médecin ne pouvait pas ignorer que l’espérance de vie statistique de la venderesse était amoindrie et qu’il en tirerait bénéfice en acquérant ce bien en viager.
La Cour de cassation veille sur ces situations pouvant affecter l’aléa. Ainsi, la haute juridiction a pu débouter le médecin ayant acquis un bien en viager à sa patiente, qu’il savait malade d’un cancer du pancréas, alors même qu’elle soit décédée d’une cause différente trois mois plus tard (Cass 1ere civ. 1, 6 avril 1996, 93-19.661).
Bien que les transactions viagères soient amenées à s’inscrire dans une temporalité relativement longue, elles ne sont pas exemptées d’impondérables fulgurants et tragiques. La vigilance est de rigueur face à des situations pouvant se rapprocher aux cas de figure présentés ci-dessus, et même au-delà. Guidée par une mémoire que l’on sait amnésique, l’actualité, par le biais des médias, a redécouvert une réalité juridique bien établie, à savoir qu’une personne achetant un logement en viager à une personne malade, qui décède d’une autre cause que sa maladie, n’encourt pas une nullité de la vente.
Et bien que la justice se montre impartiale et d’une parfaite régularité dans ses décisions rendues sur ce type d’affaires, le rôle de l’expert viagériste est de préparer l’ensemble des deux parties à ces éventuelles situations, par un travail de pédagogie, encouragé par Viagimmo depuis ses débuts.
*Pour rappel, l’article 1974 du Code civil prévoit que : « Tout contrat de rente viagère, créé sur la tête d’une personne qui était morte au jour du contrat, ne produit aucun effet. » et l’article 1975 du code civil prévoit que : « Il en est de même du contrat par lequel la rente a été créée sur la tête d’une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les 20 jours de la date du contrat. »