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16 octobre 2023

Se lancer dans le viager, une bonne affaire ou… une affaire de spécialistes ?

Le viager est devenu un type de transaction très à la mode chez les professionnels de l’immobilier. Délaissé il y a encore quelques années, aujourd’hui, tout le monde veut s’y lancer, dans l’espoir de trouver une sorte de Terre promise. Mais, est-ce vraiment une bonne idée de se lancer dans le viager la fleur au fusil ? Nos réponses.

se lancer en viager, viager, le viager, viagimmo, marc ezrati, sophie richard « Incroyable viager à Neuilly-Sur-Seine », « Gagnez 200 000 en seulement 10 ans », « Découvrez nos ventes privées en viager à partir de 0 de rentes mensuelles Nos offres viagers jusqu’à 60 % de cote ! » : ces messages aux titres chocs, des milliers de Français en reçoivent chaque jour dans leurs boîtes mail.
A y regarder d’un peu plus près, la quasi-totalité de ces courriers proviennent non pas de spécialistes en valorisation patrimoniale ou de viagéristes mais de « simples » agents ou mandataires immobiliers qui comptent bien développer leur portefeuille de mandats avec ce type de transactions. Jérémy est l’un d’entre eux.

Le jeune homme âgé d’à peine 25 ans est agent commercial pour un réseau de mandataire : « Le viager, je suis sûr que ça va marcher, avec tout se qui passe en ce moment, l’inflation, la réforme des retraites, les seniors cherchent à augmenter leur pouvoir d’achat.Avec le viager, certains peuvent augmenter leurs revenus de 30 à 50 % grâce à ce système et les acquéreurs profiter de très grandes décotes sur la valeur du bien », nous dit-il, des étoiles plein les yeux, Le hic, c’est que depuis quelques mois qu’il s’autoproclame « spécialiste en viager », il n’a pas encore rentré le moindre mandat. II nous explique que « pour le moment, il doit faire beaucoup de pédagogie car les gens ont encore une mauvaise image du viager ».

II y a quelques mois, un groupe d’une trentaine d’agents immobiliers, membres de plusieurs réseaux traditionnels de transaction immobilière ou gérants d’agences indépendantes se sont retrouvés dans une salle de séminaire d’un hôtel de province pour suivre une formation sur le viager. Tous sont motivés, tous voient dans le viager un eldorado dans un marché immobilier compliqué en ce début 2023. Ils viennent suivre cette formation pour s’initier et pourquoi pas se lancer dans l’aventure. Mais, très rapidement, les mines se décomposent, les sourires se crispent : la formation est particulièrement technique.
Les apprentis viagéristes y couvrent que l’univers de l’estimation n’est pas si simple dans ce type de vente, que la fiscalité y est bien plus compliqué entre plus-values immobilière, IFI ou encore frais de mutation qui ne s’appliquent pas forcément de la même manière en viager. Ils y apprennent aussi les clauses spécifiques de protection des parties.

Sophie Richard, fondatrice du seau Viagimmo explique que la théorie est évidemment « indispensable » mais il ne faut pas non plus « sous-estimer la dimension pédagogique sur le terrain ». Elle poursuit : « Le viager est un sujet sensible, se mêlent la question de l’héritage, l’espérance de vie, la vente au long terme à la différence du « one shot  » de la vente traditionnelle. II faut savoir parler de ces sujets-là, avoir de l’empathie, des qualités d’écoute et de patience. Nous avons également un public sensible en face de nous : des personnes âgées ou des acquéreurs qui ont besoin d’être rassurés sur l’éthique de cette transaction ».

Tout au long de la formation, les stagiaires ont été alertés par leur formatrice sur les risques de contentieux si la vente n’était pas correctement encadrée. En fin de journée, les 35 agents qui participaient à la formation sont ressortis aussi bien lessivés que dépités. Vincent un des participants, parait désabusé, lui qui semblait habiter de nombreuses certitudes le matin même : « Je n’imaginais pas que le viager était aussi précis, aussi compliqué et avec autant de contraintes juridiques ou fiscales. Et puis, je ne sais pas si je suis vraiment prêt côté relationnel avec ce type de public », avoue-t-il.

Sophie Richard n’est pas surprise par ce témoignage de désillusion : « Après ces formations, la plupart des agents immobiliers comprennent que c’est une vente qui ne s’improvise pas, qu’elle est extrêmement particulière et complexe, que s’ils ne pratiquent pas régulièrement la technique, la pédagogie, leurs discours auprès des clients, des apporteurs d’affaires type notaires, ils oublieraient tout ce qu’ils avaient appris. »

Le risque pour un agent immobilier mal préparé ou mal formé à ce type de transaction ? Pour la formatrice de Viagimmo, « cela nuirait à leur image au mieux et entrainerait des procédures au pire. II ne faut pas oublier qu’au-delà des relations entre professionnels et consommateurs, nous sommes face à un public fragile, à risque et donc  » à protéger « . II ne faut pas non plus perdre de vue que le vendeur senior peut avoir un processus décisionnel très lent : il veut être certain de son choix, avoir confiance dans son interlocuteur. Donc les démarches commerciales sont à fuir ! Le vendeur ne doit pas se sentir  » pressé  » de signer. C’est sur le terrain et avec l’expérience et la répétition, que l’on acquiert vraiment le savoir et la maîtrise du viager. »

Le viager connait un regain d’intérêt de la part des Français. « La situation d’abord sanitaire, puis économique les a amenés à envisager d’autres alternatives pour améliorer leur niveau de vie, investir voire simplement accéder à la propriété. La hausse des taux des emprunts bancaires, la volatilité du marché de l’immobilier et la rareté des biens disponibles ont convaincu les agences immobilières d’ouvrir le panel de leurs services vers le viager qui supporte lui la croissance », explique Sophie Richard.

 

Les gérants d’agences immobilières ont pris conscience des risques pour leurs cartes T

Sophie Richard nous explique que dans son propre réseau, « ce n’est pas avec les semaines de formation initiale que l’on devient expert mais véritablement grâce à l’accompagnement quotidien de la hotline juridique qui est à la libre disposition des franchisés sur toutes les questions remontées du terrain. Les gérants des agences immobilières ont également pris conscience des contentieux potentiels, c’est leur carte professionnelle qui pourrait être mise à mal si leur agent commercial n’estimait pas correctement le viager, s’il oubliait des clauses substantielles. Cela nuirait également à la notoriété de l’enseigne en cas de mauvais discours ou de mauvaise pratique.
Je prends souvent en exemple qu’en immobilier, tout le monde ne peut pas s’improviser syndic ou spécialiste de fonds de commerce ou encore administrateurs de biens. Ce sont des métiers de spécialistes qui requièrent des formations régulières, un suivi et une pratique quotidienne pour être un bon professionnel digne de ce statut.
»

La plupart des agents immobiliers qui suivent ce genre de formation se résignent souvent à limiter leur activité « viager » à l’apport d’affaire avec des cabinets spécialisés pour éviter toute prise de risque qui pourrait leur coûter cher. « Plutôt que de se lancer corps et âmes dans le viager, l’apport d’affaire apparait plus sécurisant pour les agents immobiliers », explique Sophie Richard. Ainsi, ceux qui seraient sollicités pour en vente en viager, se limitent à communiquer le contact à l’expert viagériste. « Ce dernier prend le relais pour expliquer au prospect le dispositif viager, rassure en cas de craintes éventuelles, réalise une estimation viagère sur-mesure et adapte la solution viagère à la situation patrimoniale et maritale du vendeur », détaille encore Sophie Richard.

 

Viager : la guerre des chiffres

se lancer en viager, viager, viagimmo, sophie richard, marc ezrati, le viager L’engouement récent des professionnels de l’immobilier pour le viager se retrouve-t-il dans les chiffres de vente ? II est particulièrement difficile de connaitre avec précision le volume de ventes en viager car il est bien souvent intégré aux transactions générales dans l’ancien. « On ne connait pas vraiment le chiffre exact des transactions en viager », nous explique Sophie Richard, « on parle souvent d’un chiffre compris entre 5 000 et 8 000 transactions viagères par an mais les notaires n’ont pas encore ventilé avec précision les différents type de transactions. »

Côté sites de diffusion d’annonces, nous avons consulté trois d’entre eux pour avoir une idée plus précise de la réalité de la vente viagère en France. Ainsi, le 10 avril dernier, sur le site SeLoger, on comptait 108 598 annonces de ventes dans l’ancien et seulement 411 annonces de vente en viager, soit à peine plus de 0,3 % des annonces. Le même jour, sur le site Bien ‘lci, on dénombrait un peu plus de 3 000 ventes en viager pour un peu plus de 100 000 annonces, soit un peu plus de 3 % des annonces. Sur Le Bon Coin, on dénombrait le 10 avril, 3480 annonces de ventes en viager sur plus de 735 000 annonces diffusées ce jour-là, soit à peine plus de 0,4 % des annonces immobilières. Des chiffres bien loin des 10 % de transactions en viager estimées par les professionnels que nous avons consultés.

Néanmoins, les professionnels de l’immobilier s’accrochent à l’idée que le viager a de l’avenir. En témoigne le succès des formations dispensées par des réseaux de mandataires immobiliers sur le sujet. Un formateur d’un des plus importants réseaux de mandataires nous explique « crouler sous les demandes de formation à ce type de transactions » depuis le début de l’année 2023.

 

Un parcours singulier

Sophier richard, viagimmo, viager Fondatrice en 2015 du Réseau Viagimmo qui compte aujourd’hui une trentaine d’agences physiques un peu par tout en France, Sophie Richard est arrivée dans le monde du viager sans que rien ne l’y prédestinait. « A la sortie de mon Master de droit, j’ai commencé ma carrière professionnelle en tant que juriste spécialisée dans le droit immobilier à l’Agence d’Information sur le Logement de Vendée. Essoufflée malgré dix années bien remplies à conseiller mes interlocuteurs, j’ai senti que j’en avais fait le tour. Et l’envie d’entreprendre devenait de plus en plus forte. J’avais le besoin irrépressible de créer mon activité ! Rien ne portait à croire que j’allais me diriger vers le commerce et encore moins vers le domaine du viager, n’ayant aucune personne de ma famille œuvrant de près ou de loin dans l’univers de l’entreprenariat et de l’immobilier. La rupture conventionnelle n’appartenant pas à la culture de la société qui m’embauchait, j’ai démissionné en 2072, sans filet de sécurité.

J’ai donc rapidement créé ma première agence immobilière aux Sables d’Olonne, et développé un portefeuille de gestion locative car je savais que c’est ce qui valorisait une agence. Je n’avais cependant pas encore les deux pieds en terre promise, il me manquait quelque chose », nous raconte-elle. C’est une rencontre avec un notaire qui sera déterminante pour elle. « II connaissait mon parcours, m’a confié l’accompagnement de certains clients en viager. Ça a été une évidence dépourvue de toute ambiguïté : j’ai découvert un métier humainement et intellectuellement très riche. Je n’avais pas encore ressenti cette intelligence émotionnelle dans les domaines traditionnels de l’immobilier. C’est ce qui a fini de me convaincre d’en faire ma spécialité à part entière. En 2015, je me suis donc spécialisée à 100% dans le viager. Je me suis rendu compte que les clients avaient besoin de spécialistes », poursuit-elle.

 

Se lancer dans le viager n’a pas été une promenade de santé

Son aventure entrepreneuriale n’aura pas été forcément la plus facile : « II n’a pas franchement été simple de me lancer sur un marché, à l’époque, il faut le dire très masculin. J’ai été confrontée à des à priori et des tabous à beaucoup de niveaux : comme celui qui portait à croire que de devenir franchiseur était réservé aux hommes, qu’il était impossible de créer une franchise spécialisée viager car beaucoup trop restreinte, ou encore que le modèle du réseau était l’apanage des seuls franchiseurs parisiens, la province étant, à tort, considérée comme un no man’s land ! Ma vision de l’entreprenariat c’est avant tout un savant mélange entre la dose de confiance que l’on prête à ses convictions personnelles et le courage du lâcher-prise pour se lancer dans le grand bain. ».

Elle explique aussi ne pas avoir trop écouté ses proches avant de se lancer : « A trop écouter un entourage assurément bien intentionné mais dominé par ses peurs, on pourrait céder à leurs sirènes et ne pas oser, ce qui est vraiment dommage ; d’autant plus malgré un nombre conséquent de voyants au vert : un concept mûrement analysé en termes de structure du projet, de contexte économique, de business plan ou encore de projection à long terme. Bien que l’on me décourageait, j’ai décidé de faire confiance à mon intuition et ai assumé pleinement mes convictions. »

Maman solo de deux enfants de 7 et 15 ans, Sophie Richard sait à quel point la bienveillance et l’écoute sont des qualités essentielles pour créer un lien de confiance avec ses clients : « A chaque fois, c’est comme si on recevait nos grands-parents. La dualité entre cette douceur et cet esprit combatif est une force, un moteur permettant de convaincre ceux qui n’y croient pas ».

 

Des journées entières à répondre aux demandes d’information

Dans ses agences, les collaborateurs de Viagimmo passent une grande partie de leurs journées à traiter les demandes d’informations qui se multiplient ces derniers mois. A l’agence des Sables d’Olonne, la première ouverte par Sophie Richard, la journée commence bien souvent par la visite de vendeurs ou de futurs vendeurs venant se renseigner : « lls nous font part de

leur inquiétude concernant le
contexte économique actuel et notamment de la réforme des retraites. On rencontre tous les jours des seniors qui sont en recherche de moyens pour améliorer leur quotidien, et même pour certain de vivre plus dignement, malheureusement, car on assiste à une véritable paupérisation de nos anciens. On rencontre aussi des particuliers qui souhaitent se constituer un patrimoine pour anticiper leur retraite et sécuriser leur avenir, car ils ont pleinement conscience du bouleversement de l’équilibre financier actuel », nous explique-t-elle.

C’est justement le cas de Françoise, âgée de 78 ans qui pousse la porte de l’agence. Elle parait angoissée. « J’ai ma chaudière à changer mais je n’ai pas les moyens pour ça et je ne me vois pas demander une aide financière à ma fille qui ne roule pas non plus sur l’or, elle élève seule son garçon », dit-elle. Elle vient se renseigner sur les avantages que lui procurerait une vente en viager.

Un autre rendez-vous est aussi programmé avec un couple de 75 ans qui a un enfant trisomique, et qui a tellement pioché dans son épargne de précaution pour financer une institution qu’il ne sait pas comment va être encadré l’enfant au décès de ses parents. « Écouter l’ensemble de ces témoignages, avec la détresse qui va avec, nous touche grandement. L’aspect quotidien de ces témoignages amplifie le niveau des émotions que l’on peut ressentir. Raison pour laquelle nous avons à cœur d’aider du mieux que nous pouvons ces personnes, avec les compétences qui sont les nôtres, dans une activité sensible, où les enjeux de patrimoine sont structurants et impactants sur parfois plusieurs générations. », nous dit encore Sophie Richard.

 

De sombres affaires de viager annulés par les tribunaux

droit, viager, viagimmo, sophie richard, sud ouestCe jour-là, l’agence des Sables d’Olonne recevait Simon et Sylvie, jeunes septuagénaires. Simon, seul propriétaire de la résidence principale, souhaite protéger sa compagne. Nicolas, l’expert viagériste, lui conseille de prévoir une clause de réversibilité de la rente au profit de Madame. Si Simon décède avant Sylvie, elle bénéficiera de l’entière rente et ce, jusqu’à son propre décès. Mais l’expert doit avant tout examiner leur situation matrimoniale car s’ils ne sont ni mariés ni pacsés, de lourdes taxes s’imposeront.

Voici maintenant Martin, 79 ans. II souhaite vendre en viager mais craint l’impayé de l’acquéreur. II dispose d’une petite retraite et la vente de son bien en viager lui permettrait d’améliorer sa qualité de vie. « Tout d’abord, il est important pour le vendeur que son acheteur soit soigneusement sélectionné en fonction de ses revenus à date, de la stabilité de sa situation professionnelle, mais aussi de son âge, il est en effet préférable qu’il soit plus jeune d’une génération » nous explique Nicolas.
« Ces premiers conseils de bon sens anticipent évidemment le risque que peut présenter une opération en viager pour le vendeur : ne pas être payé de la rente ou bien être payé mais avec du retard alors que pour nombre de vendeurs, ce revenu constitue un complément de retraite indispensable », ajoute Sophie Richard.

En fin de journée, avant la fermeture de l’agence, une vieille dame pénètre difficilement dans les lieux. Elle a 85 ans. Nicolas la reçoit et va vite comprendre qu’elle est gravement malade. Elle insiste pourtant pour vendre son bien en viager. « Bien évidemment, au-delà du caractère éthique et de l’empathie sincère, l’expert ne prendra pas en mandat la vente de son bien. En effet, la vente en viager qui dépend de la durée de vie du vendeur doit avoir un caractère aléatoire pour être considérée comme légale. Si cet aléa disparaît, la transaction peut être frappée de nullité. En tant que professionnel, les responsabilités civile et pénale pourraient être engagées », insiste Nicolas. Cette précaution, certains agents immobiliers qui se sont lancés dans l’aventure « viager » l’ont payée cher.

Récemment, un agent immobilier de Montpellier a été condamné et la vente annulée. La vieille dame, fragile psychologiquement et qui était décédée le jour de la décision du tribunal, avait accepté des conditions dérisoires imposées par l’agent immobilier. Quelques mois auparavant à La Baule, en Loire-Atlantique, une autre vieille dame âgée de 90 ans, atteinte d’une maladie incurable au moment de la signature du contrat de viager, est décédée 6 jours seulement après. Là encore, la vente a été annulée car l’aléa et les délais légaux n’étaient pas réunis pour que la vente en viager soit régulière. De sombres histoires comme celles-là, il en existe plusieurs. Des affaires qui font bondir Sophie Richard et ses confrères viagéristes : « Ces affaires montrent bien que le viager est un vrai métier qui ne s’improvise pas et qu’on ne peut pas le laisser faire n’importe comment par n’importe qui. Le viager est d’une grande utilité sociale et sa mécanique est moderne… Mais qui dit moderne, ne dit pas à la mode ! ». Au final, on le comprendra aisément : le viager serait bien une affaire de spécialistes !

 

Marc Ezrati – Journaliste et éditeur free-lance

Source : L’activité immobilière, édition de mai 2023, pages 44, 46 et 48.